Souvenirs d'enfance...

Il y avait des jours où Zi Na avait besoin de sortir du quartier des plaisirs, de changer un peu de son quotidien -passablement glauque, il fallait bien le dire- et aujourd'hui était un de ces jours. Parfois elle se rendait à la surface, en profitant pour offrir une cure de jeunesse à ses poumons, mais aujourd'hui ses pas l'avaient conduite à l'orphelinat, comme cela lui arrivait parfois.

Arrivée devant la façade, grise et délabrée, elle la fixa un instant, un peu songeuse, elle avait beaucoup de souvenirs ici, dont elle ne savait au final pas trop s'ils étaient bons ou mauvais. Plutôt bons, sûrement, oui sûrement...

Elle hésita un instant à entrer, mais préféra attendre, d'une part à cause du besoin de nicotine qui se faisait sentir, et la forçait à rester à l'extérieur, mais aussi parce qu'au fond, elle appréhendait toujours un peu de voir les enfants, penser à ce qui les attend ensuite, car même pour les quelques uns qui avaient la chance d'être scolarisés, comme elle l'avait été, les perspectives d'ascension sociale étaient nulles -quasi? elle aimait à le croire... Imaginer leur quotidien et ainsi se rappeler ce qu'avait été sa vie ici, pendant un peu plus de neuf ans, se retrouver face à ses souvenirs, aujourd'hui un peu flous mais bien présents. Les couloirs, la salle commune, les dortoirs, les jeux, les rires et les pleurs, revoir tout ceci lui procurait une sensation étrange... Aigre-douce...

Elle saisit son paquet de cigarettes, en mit une au bout de son porte-cigarette et le porta à sa bouche, puis l'alluma. Elle s'assit sur les marches du péron, dos au mur, à côté de la porte, le regard dans le vide, regardant sans les voir les gens dans la rue, et tendant parfois l'oreille quand elle croyait entendre du bruit à l'intérieur. Il était encore tôt mais tout le monde était probablement déjà levé...
Elle ne devait pas vraiment aider donner une bonne image de l'établissement à cet instant précis, bien qu'elle fût aujourd'hui habillée de manière assez sobre comparée à ses habituelles tenues de couleurs vives arrivant à mi cuisse, ou plus haut: une robe froissée bleu nuit, dépassant presque le genou, ses éternels résilles et talons aiguilles, et ses gants en vinyle.

Thaumaturge à l'Airain Nombre de messages : 16 Date d'inscription : 28/12/2007

Il était encore tôt pour que les enfants soient réveillés... enfin du moins pour un dimanche. La jeune femme qui leur donnait des cours ne viendrait pas aujourd'hui, alors Rina laissa les enfants dormirent un peu plus longtemps. Et puis les dimanches étaient toujours si longs... Il était difficile d'occuper la vingtaine d'enfants de l'orphelinat dans ces lieux sordides... et dangereux de les laisser jouer dehors. En fait, elle comptait les ammener comme souvent à quelques kilomètres où se trouvait un semblant de clairière. Evidemment le directeur de l'orphelinat serait avec eux pour surveiller que tout se passe bien...

Mais Rina pour sa part était lever depuis un moment, lavée et habillée. Ce n'était pas dans ses habitudes de dormir longtemps. Comme à chaque fois qu'elle se trouvait désoeuvré, ce qui était plutôt rare vu le travail que fournissait l'entretien de l'orphelinat, la jeune russe préférait sortir pour s'asseoir sur le perron et observer l'agitation dans la rue.

Mais lorsqu'elle ouvrit la porte pour sortir elle fut surprise de reconnaître Zi Na Doe. Elle connaissait la jeune femme... Elle ne l'avait pas connu à l'orphelinat mais pendant une période de sa vie qu'elle préférait oublié... Elle savait la place qu'exerçait maintenant Zi Na, elle savait aussi que cette dernière se comportait mieux avec ses filles que d'autres proxenètes mais elle ne comprenait pas comment elle pouvait faire ça, alors qu'elle savait très bien le calvaire que les filles vivaient...

Elle esquissa un léger geste de la tête en guise de politesse, et s'installa à côté d'elle, tout en commençant à regarder l'agitation de la ville. Au moins, en tant que muette, Rina n'avait pas à faire la conversation. Et puis à vrai dire, la raison de la présence de Zi Na l'indifférait. Cette dernière venait de temps en temps à l'orphelinat, comme ça, apparement sans raison. Rina avait vaguement saisit qu'elle aussi avec vécu un moment ici...

La fumée de la cigarette incommoda Rina qui se mit à tousser.

Zi Na tourna la tête quand la porte s'ouvrit, et y vit une jeune fille blonde et frêle, portant des vêtements sombres et usés. Il s'agissait de Rina, en quelque sorte la femme à tout faire de l'orphelinat. Zi l'avait cependant connue avant qu'elle ne trouve cet emploi, alors qu'elle travaillait -pour la concurrence- dans le même... secteur d'activités qu'elle. Elle lui avait d'ailleurs piqué quelques clients, avec son pouvoir -qui était en quelque sorte le frère thaumaturge de celui de Zi...

Zi Na se doutait bien de ce que pouvait penser la jeune fille à son sujet: dégout, incompréhension, et cætera... C'était ce qu'inspirait ce métier, et c'était encore pire si exercé par une femme, et en toute connaissance de la dureté du travail pour les filles. Mais Zi ne s'en souciait guère, on ne se nourrit pas avec le regard des autres, et entre soumettre les autres et se soumettre éternellement, son choix avait été vite fait...

Rina lui adressa un signe de tête, que Zi lui rendit, avant de s'asseoir elle aussi, le bois hors d'âge du perron craquant sous ses mouvements. Quelques instants après elle toussa, incommodée par la cigarette, ce qui était quelque peu ironique étant donné la pollution ambiante. Zi Na changea sa cigarette de main pour l'éloigner de la jeune fille puis tira une bouffée qu'elle recracha en adressant à cette dernière un regard qui voulait dire "Je ne la jetterai pas pour autant."

Zi songea alors qu'on était un Dimanche, ce qui expliquait probablement le manque d'activité à l'intérieur -ainsi que le fait que Rina sorte ainsi. Pas d'école donc, une journée à tromper l'ennui, il n'y avait pas grand chose à faire à l'orphelinat...

"Tu as prévu quelque chose pour occuper les petits aujourd'hui?"

Lâcha Zi sur le ton de la conversation, regardant toujours la rue devant elle, de plus en plus remplie bien que toujours assez vide, avant de diriger son regard vers sa voisine pour voir sa réponse.

Thaumaturge à l'Airain Nombre de messages : 16 Date d'inscription : 28/12/2007

Zi Na écarta sa cigarette mais non sans accompagner son geste d'un regard noir qui ne perturba pas le moindre du monde Rina. La jeune femme semblait surtout indifférente à ce qui l'entourait... et puis elle avait connu bien pire que le regard de Zi Na ; elle savait surtout que cette denrière ne se montrait jamais méchante ou cruelle sans raison valable.

Toujours assise à ses côtés, sa voisine amorça la conversation en demandant à la jeune femme où elle comptait ammener les enfants pour la journée. Rina savait que Zi Na connaissait quelques gestes du langage des sourds-muets alors elle ne prit pas la peine de chercher à l'intérieur de l'orphelinat la petite tablette sur laquelle elle écrivait lorsqu'elle n'arriait pas à se faire comprendre.

Elle esquissa quelques gestes signifiant "clairière". Elle n'avait pas besoin de s'étendre en explication, il n'y avait pas beaucoup d'endroits correspondant à ce mot. Et puis Zi Na avait vécu à l'orphelinat, et c'était un peu une "tradition" cette ballade à la clairière pour l'institution.

Elle fit un second geste en la désignant, pour lui rétorquer sa question. Ce n'était pas vraiment qu'elle avait envie de connaître les projets de sa voisine, ni le plaisir de faire la conversation, mais elle se devait de répondre un minimum. Et puis tant qu'elle n'avait pas à faire l'effort d'écrire, elle n'en voyait pas trop le problème.

Rina fut aucunement déstabilisée par le regard que Zi lui avait lancé, l'attitude de cette dernière avait une forte tendance à énerver les autres -d'autant qu'elle ne cotoyait pas que des individus très stables- en temps normal, mais la jeune russe en avait vu d'autres et n'était pas à ça près...

Rina répondit à la question par quelques gestes du langage des signes, Zi le maîtrisait assez mal mais en avait quelques bases. Les bas fonds sont pleins de personnes qui ne peuvent se faire comprendre en parlant, muets, sourds, autres problèmes physiques dus aux irradiations de la décharge, ou tout simplement de nouveaux venus qui ne maîtrisent pas la langue unique de la ville. Ainsi s'était développé un langage des signes, pas forcément très complet, mais unique et permettant de se faire comprendre. Mais Zi n'avait jamais eu la patience de l'apprendre sérieusement, elle comprenait quelques phrases et ça lui suffisait, si elle ne comprenait pas elle supposait que ce n'était pas si important.

La jeune thaumaturge désigna donc une clairière, son ainée n'avait pas besoin de plus de précisions, c'était courant à l'orphelinat d'emmener les enfants se défouler là bas, cela leur faisait du bien. Elle hocha donc la tête avec un léger sourire pour montrer qu'elle avait compris.

Rina lui retourna ensuite la question, à vrai dire Zi n'y avait pas trop réfléchi, le dimanche était généralement un jour assez calme, -pour les pères de familles, c'est plus compliqué quand les enfants sont à la maison...- mais elle devrait tout de même aller vérifier que tout se passait bien, qu'il n'y avait pas de mauvais payeur ou de client trop agressif -bien que les filles sachent très bien se défendre et se servir à bon escient de leurs pouvoirs-.

"Mhh, en fait, je sais pas trop, je comptais me ballader un peu, faudra que je passe à la maison mais bon... Je vais peut-être aller dans un autre quartier, faire des heures sup'..."

dit-elle, songeuse et légèrement contrariée, -le mot "maison" désignant évidemment la maison close.
Elle profitait généralement d'une journée calme pour se fournir en nourriture, tabac, ou autre syndize, au marché noir, mais l'argent se faisait rare: de plus en plus de contrôles de la FDC en Haut, les Citoyens veulent se montrer respectueux des lois, la partie de sa clientèle venant de la surface vient moins. D'où le fait qu'elle envisage d'aller faire "des heures sup'" ailleurs -même si le "ailleurs" suggérait empiéter sur le territoire de la concurrence, elle ne le ferait qu'en dernier recours pensait-elle, car cela pouvait se révéler assez dangereux. Et puis il était encore trop tôt pour qu'il y ait des clients.

Thaumaturge à l'Airain Nombre de messages : 16 Date d'inscription : 28/12/2007

Zi Na avait apparement comprit ce qu'elle lui avait demandé avec ses mains. Cela arrangeait la jeune femme qui n'avait pas envie d'écrire. Les mots se mélangeaient toujours dans sa tête et c'était toujours une torture pour elle de s'appliquer à écrire quelques mots sur l'ardoise qui la quittait rarement.

Elle écouta la réponse de son interlocutrice avec son éternel apparence d'indifférence. Seuls ses yeux bleus trahissaient légèrement ce qu'elle ressentait en entendant Zi Na parler ainsi de ce qu'elle allait faire. C'était un mélange de colère et de peur. Elle détestait que sa voisine parle avec tant de naturel de cette vie de torture... et elle avait tellement peur que cela lui arrive de nouveau... il n'y avait pas une seule nuit qui se passait sans qu'elle se réveille en sursaut d'un cauchemar où elle revivait ces mois où elle devait supporter les caresses de ces hommes...

Oui, décidément elle ne comprenait pas Zi Na... Pour autant, elle n'en montra rien, et se contenta de laisser son regard se perdre dans l'observation de l'agitation dans la rue. Puis sans prévenir, comme si elle venait de penser subitement à quelque chose, elle se releva brusquement et rentra à l'intérieur de l'orphelinat toujours aussi calme, avant de réaparaître auprès de Zi Na et lui tendre une feuille de papier.

Sur cette feuille, elle avait dessiné le visage d'une gamine de 17 ans tout au plus. C'était une fille qui était encore à l'orphelinat quelques mois plus tôt et dont Rina s'était occupé, mais qui avait du partir compte tenu de son âge. Au départ, elle venait régulièrement lui donner des nouvelles, mais cela faisait plusieurs semaines qu'elle avait disparu.

De quelques gestes rapides, elle fit comprendre à Zi Na qu'elle voulait savoir si elle l'avait vu quelques parts. Elle songeait, avec un pincement au coeur, que l'adolescente était peut-être dans une de ces maisons de l'horreur... Si c'était le cas, elle ne pouvait pas la l'y laisser, elle irait la chercher, elle trouverait une solution pour l'aider...

Zi Na avait parfaitement conscience de mettre son interlocutrice mal à l'aise avec son attitude désinvolte vis-à-vis de sa profession. Pour preuve, les yeux de la jeune thaumaturge n'étaient pas tout à fait aussi inexpressifs que d'habitude. Rina avait vécu cette vie, que les deux femmes savaient aussi bien l'une que l'autre dégradante et douloureuse. Cependant, après environ 26ans de métier et le traumatisme qu'avait été son arrivée dans la maison close, Zi s'était peu à peu barricadée, et avait choisi la froideur, la désinvolture comme défense au lieu de ne plus montrer aucune émotion -ce qui n'était d'ailleurs pas très vendeur-, elle préférait sembler sûre et maîtresse d'elle-même en toute circonstance. Sa position depuis quelques années lui permettant par ailleurs plus de liberté et exigeant beaucoup d'assurance.

Il sembla un instant que la "conversation" s'arrêterait là, mais la russe se leva brusquement et retourna à l'intérieur. Zi la suivit du regard, curieuse, pour la voir revenir quelques instants plus tard, une feuille de papier en main, qu'elle lui tendit. Sur la feuille était dessiné un visage de jeune fille, qui devait avoir aux alentours de 16 ou 17ans. Rina semblait vouloir savoir si Zi l'avait déjà vue et était assez pressante, pour une fois. C'était sûrement une ancienne pensionnaire. Zi songea avec amertume que les responsables de l'orphelinat se souciaient bien moins de leurs pensionnaires à son époque...

Zi Na regarda l'image, un dessin ne valait pas une photo mais celui-ci était tout de même assez détaillé, la fille était indéniablement belle et dégageait une certaine pureté qui ne manquerait pas d'intéresser les souteneurs. Zi fixa le visage un moment, concentrée, la jeune fille lui disait quelque chose. Elle l'avait vue deux ou trois fois tout au plus, mais elle n'aimait pas voir des gamines dans le quartier.

"Hm... Je crois que je l'ai déjà vue. Je ne suis pas sûre de savoir pour qui elle travaille mais j'ai ma petite idée... Moi je ne touche pas aux gosses, elle a quoi, 16? 17ans?"

Certains souteneurs étaient plus friands que d'autres de jeunettes, Zi les connaissait et les méprisait, rien ne la répugnait plus que voir dans son quartier une fille de même pas 15ans, rose aux lèvres, yeux fardés, dans une robe de petite fille thaumaturge, aguichant le client, comme elle le voyait parfois. Et comme elle l'avait elle-même fait...